En Belgique, la précarité du statut d’indépendant force à la créativité et bénéficier d’un véhicule financier pour mes activités était déjà une belle réussite, moi qui avais démissionné (par choix, pas par dépit) de tous les CDI que j’avais eu la chance de décrocher, d’abord à l’Agence Belga, à la RTBF et ensuite chez Owni.
Aujourd’hui, à salaire inchangé depuis 2008, j’ai construit une boite qui dégage des bénéfices et paie donc des impôts, mais qui me permet surtout de vivre de ma passion pour l’expérimentation et l’accompagnement de projets qui ont un impact positif autour de moi. C’est une grande chance, dont je mesure chaque jour l’ampleur lorsque je me permets de dire “non” à des projets qui, tout bankable qu’ils pourraient être, ne rentrent pas dans la vision de ce que je considère être la raison d’être de ma société.
Un de mes grands bonheurs au cours des dernières années a été de faire “grimper” et d’associer une quantité non négligeable de talents aux projets que je portais ou auxquels d’autres talents m’avaient conviés, plus d’une fois d’ailleurs parce que je les avais eus comme étudiants (Aurélie, Benoit, Remi, Tim …) ou parce que la sérendipité m’avait fait croiser leurs chemins et que des opportunités s’étaient présentées, parfois en one shot, souvent en récurrent.
Bosser avec des gens qui ont le même état d’esprit que moi, la même envie d’entreprendre, de prendre le risque d‘être gratifié à la hauteur des nos investissements mutuels, en toute liberté, avec chacun sa propre autonomie. Quel pied !
Un mode de vie nomade, une certaine organisation dans le multitasking et un réseau de gens bienveillants autour de moi, à commencer par ma femme et mes enfants, m’ont permis de perfectionner mon approche du mode “travail”.
Rien n’est jamais acquis ad vitam, mais, à nouveau, j’ai la chance d’avoir des partenaires qui inscrivent leurs projets dans des visions particulièrement compatibles avec la mienne. Et je leur en suis particulièrement et chaleureusement reconnaissant.
Toutefois, depuis quelques mois, le nombre de projets auxquels je suis contraint de dire “non” augmente, et de manière très frustrante, pour des raisons que je ne maitrise pas. Comme tout le monde, je n’ai que 24h dans une journée, et comme tout le monde, il y a des compétences que je n’ai pas.
Que faire alors ? Je le redis, mon ambition n’a jamais été de créer “une grosse boite”, mais une structure à la mesure de mes intentions. Gagner beaucoup d’argent n’en fait pas partie, mais il en faut pour vivre, assurer ma capacité à monter des projets excitants tout en continuant à pouvoir dire “non”. Comment rester “raccord” entre mon discours, notamment celui que je tiens à mes étudiants, à mes enfants, à mes amis, et mes actes ?
Engager ? Le salariat constitue sans doute la forme de contrat de travail qui, à mes yeux, est la plus obsolète qui existe, d’autant plus en Belgique où son coût est absolument aberrant. Et puis le monde dans lequel nous vivons et encore plus celui qui s’annonce, rend la notion-même de “sécurité”, et notamment d’emploi, quasi caduque et presque fallacieuse d’un point de vue intellectuel.
La “réduction de l’insécurité” comme levier d’action politique est castratrice, liberticide et mène à poser des choix non plus guidés par l’autonomie et la confiance “par défaut”, mais par le contrôle et l’aversion du risque. Or, à mes yeux, cette mise en danger de soi, de ses certitudes et de sa zone de confort intellectuelle est le principal moteur de l’innovation et de la création de richesses, humaines et matérielles. Est-elle pour autant incompatible avec la notion de salariat ? J’y reviendrai plus bas.
J’ai donc commencé par publier une offre de stage, à travers laquelle je proposais de me mettre au service d’un projet porté par un(e) stagiaire, et non l’inverse. Une manière aussi d’agir en concordance avec des valeurs, celle du “pay-it-forward”. Cette inversion de la proposition de valeur était pour moi cardinale, tant la nature-même des stages proposés aujourd’hui dans les entreprises vont à l’encontre du développement personnel des individus.
Supprimez les stagiaires dans les entreprises, et de presse en particulier, et grosso modo, plus aucune n’est capable d’assurer son workflow quotidien. En prenant ce contre pied, je voulais allumer une étincelle et voir comment en lui partageant mon oxygène j’allais permettre de la nourrir pour qu’elle grandisse, détachée de la préoccupation de devoir être rentable pour mon entreprise. J’ai été agréablement surpris de voir cette offre d’un autre genre avoir un écho particulier, notamment auprès de gens que j’estime et qui eux aussi travaillent en mode “libéré” (tx Duc et les gars d’Officience pour l’adaptation en anglais)
J’ai reçu une trentaine de candidatures, toutes via les réseaux sociaux. La grande majorité de ces propositions n’étaient hélàs pas au diapason de mon intention. Formatées comme des offres de main d’oeuvre facile et non pas comme des demandes d’aide ou de conseils pour mener à bien des projets personnels complexes et ambitieux. Sans doute n’avais-je pas réussi à trouver les bons mots pour expliquer le “pourquoi” de ma démarche ni le “comment” elle allait s’opérationnaliser.
Une candidature toutefois, celle de Nadine, a retenu mon attention. Elle me tutoyait alors que l’on ne se connaissait pas, elle habitait en France, ce qui ouvrait la porte à une collaboration agile et à distance, et surtout elle a utilisé le bon .gif pour me convaincre: “J’attends de toi que tu m’aides à structurer ma démarche et à trouver les outils nécessaires pour mener à bien mon projet et compléter ma formation.” J’ai dis Banco.
A refaire, il y sans doute plein de petites choses que nous aurions faites différemment, mais dans l’ensemble j’ai vraiment été ravi de pouvoir accompagner Nadine dans son cheminement, qui l’amène aujourd’hui à travailler avec des ONG internationales, et à lancer une startup dans les échanges Nord-Sud avec l’Afrique.
Je n’ai perdu ni temps ni argent, et cette expérience, ajoutée à tant d’autres avec mes étudiants, m’a convaincu obstinément de continuer à creuser dans cette direction: “Comment continuer à empowerer les gens qui gravitent dans mon écosystème ?”, partant du principe que tout ce qui est bon pour eux serait bon pour moi, et que si je participe à ce qu’ils deviennent successful, le retour sur investissement viendrait tôt ou tard, d’une manière ou d’une autre (et pas que financièrement, vous l’avez je l’espère compris).
Aujourd’hui, j’ai donc signé mon premier contrat en tant qu’employeur. Parce que j’ai croisé la route d’un bonhomme meilleur que moi, et que j’ai envie de lui accorder toute la confiance, l’autonomie et la sécurité nécessaire pour qu’il continue à l’être. Cela fait 4 ans que Skan, journaliste, comédien, musicien, arabophone polyglote, amoureux de la Grèce antique, des jolis mots et des belles épopées se forme au Motion Design et à l’animation graphique.
Depuis un bout de temps j’observais son boulot (sur Le Soir ou plus récemment sur une dataviz réalisée pour L’Obs) et après l’avoir entendu pitcher au Pecha Kucha de Mons, lors de la Semaine de la Créativité, je me suis dit que je pouvais peut-être l’aider à aller encore plus loin, que nous pouvions ensemble raconter de nouvelles histoires, leur donner du sens et rendre intelligible dans le langage d’aujourd’hui l’actualité du monde qui nous entoure.
C’est un pari, un peu comme au poker, je paie pour voir ce qu’il a dans son jeu. Mais la comparaison s’arrête là. Parce qu’à partir de maintenant, nos cartes vont s’additionner, constituer un “unfair advantage” que, seuls, nous aurions été incapables d’acquérir. A deux, nous avons commencé à dire “oui” à des projets auxquels j’étais contraint dire “non”, et c’est très très excitant.
A deux, nous allons quand même aussi devoir continuer à dire “non”, pour rester indépendants et autonomes. A deux, et peut-être demain à trois, quatre ou plus, nous allons continuer à expérimenter, à tester, à transmettre et à challenger les status quo.
Nous allons tenter de combiner nos talents et de les mettre au service d’individus, d’entreprises, d’organisations et d’institutions qui placent leurs utilisateurs au centre de leurs préoccupations.
Skan est donc le 1er salarié du lab.davanac, avec un contrat en CDI. Celui-là-même que je trouvais obsolète et caduque, quelques lignes plus haut. J’ai fait ce choix parce que pour hacker les règles, il faut d’abord les comprendre.
Alors je vais apprendre ce que c’est d’être “patron”, même si je hais ce mot pour la verticalité qu’il induit dans les relations entre individus, même si mon intention n’est pas de diriger, mais de tenter de leader le pack, même si je dois lui donner un badge d’une porte qui n’existe pas.
Beaucoup de gens ont eu la gentillesse de me partager leurs connaissances et dernièrement, une conversation avec Eric Lardinois, qui dirige l’Ecole de la Créativité, nous avons abordé les des “nouveaux modes d’organisation”, tels quel présentés par Frédéric Laloux dans son bouquin.
Je suis convaincu des vertus de l’autonomie et de la responsabilité, de la transparence et de la confiance, et pas qu’au boulot. Mais quand il s’agit de partager ses “secret sauces”, les cartes visa ou le bilan comptable de son bébé, c’est une autre paire de manche. Un vieux reste de « pour vivre heureux, vivons cachés » judéo-chrétien.
Alors je vais apprendre, from scratch ou presque, et je m’en réjouis. Plus loin je pousserai cette démarche, plus nous serons consistants et cohérents dans le développement de nos projets, et plus nous donnerons peut-être envie à d’autres talents de nous rejoindre et de travailler avec nous.
Again, c’est un pari, sans aucune certitude quant à ce que nous trouvons au bout du process. Pas sûr d’ailleurs que le bout du chemin soit la partie la plus excitante du game…
J’ouvre aujourd’hui une nouvelle page de ma vie. Je flippe de ne pas être à la hauteur, de ne pas être capable de tenir mes promesses et de me crasher en plein vol. Mais c’est aussi ce qui me pousse à aller de l’avant, les yeux rivés sur le même horizon, en me disant que quoi qu’il advienne j’aurai appris, vécu et tenté d’incarner ce pourquoi je me lève tous les matins.
5 règles d’engagement.
Pour nous aider à garder le cap et à décider des go et no go, comme je l’avais déjà fait au lancement de mon blog, en juin 2005, j’ai couché par écrit ce que je considère comme être la raison d’être et les valeurs du lab.davanac. Skan a d’ailleurs signé ce document, en addendum de son contrat.
Comme tout le reste, c’est un work in progress permanent et ces deux définitions vont devoir s’enrichir de guidelines plus complexes, avec le temps, si tout va bien, si Dieu le veut, Inch Allah.
Encore un tout grand merci à tout ceux qui m’ont permis d’être là où je suis aujourd’hui, à vous raconter ma vie, mes doutes et mes envies pour les années à venir. N’hésitez pas à nous faire part de vos remarques, de vos conseils et de vos encouragements, j’en serai ravi et honoré :-)
- Chacun organise son temps de travail comme il le souhaite, « but the job has to be done ». Pour y parvenir, chacun détermine les tâches, les techniques et les équipes avec lesquelles il travaille, avec pour objectif de délivrer le meilleur résultat possible pour nos clients et partenaires.
- La confiance est une « feature by default”. Chacun est libre d’initier des nouveaux projets, à condition qu’ils correspondent à notre raison d’être et valeurs.
- « We Are What We Share ». Tout ce qui est numérisé est potentiellement public. Tout ce qui est public est assumé personnellement, chacun en son nom propre, avec le support humain, technique et financier de l’entreprise.
- « Transparency as a tool to help others« . Nous protégeons nos sources et nos outils de travail. Nous croyons en la certitude des faits et en la véracité des paroles. Nous vénérons l’humour et l’(auto)dérision. Mais nous ne sommes pas toujours bons en blague, pardon d’avance.
- Nous prenons des risques, faisons et ferons encore des erreurs, le plus souvent possible, si possible pas deux fois les-mêmes. Nous assumons notre subjectivité et n’avons comme assurance-vie que la confiance que les individus “ que l’on appelait autrefois audience” nous portent, parce que c’est grâce nos conversations que nous co-créons. “Listen First, Then Listen More”.
Nul n’est irremplaçable, mais chacun peut faire entendre son adresse ip.
La raison d’être du lab.davanac est d’expérimenter des solutions innovantes pour améliorer les systèmes médiatiques, éducatifs, culturels et politiques qui présentent des failles, de les documenter publiquement et d’empowerer les acteurs du changement.
Nos valeurs sont l’honnêteté intellectuelle, la liberté et l’autonomie des individus, la bienveillance et l’empathie, la confiance et la transparence, la création de sens et le partage, dans une dynamique de « pay-it-forward »
ADN du lab.davanac (au 1er juin 2016)
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