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Le pléonasme du “Journalisme Mobile”

Retour sur la session de formation avec les étudiants en master ProCan de l’ISIC, au Maroc, du 14 au 17 novembre 2017.
Le pléonasme du “Journalisme Mobile”

J'ai eu la chance d’accompagner, pour la 3ème année consécutive, les étudiants du Master en production de contenus audiovisuels et numériques (ProCan) de l’ISIC, à Rabat, avec pour objectif de les sensibiliser aux enjeux de la production de contenus en mobilité, et accessoirement, de les pousser à adopter un mindset “numérique”, à expérimenter et tester certains processus en faisant preuve de créativité.

Je suis à chaque fois épaté par la mixité des profils des étudiants (ils sont déjà tous diplômés, d’écoles de journalisme ou de filières orientées cinéma/documentaire, parfois aussi plus techniques).

Ajoutez-y une réelle volonté d’aller de l’avant en bousculant les codes et les carcans, et une vraie gentillesse dans les attitudes et les intentions, et vous avez les ingrédients parfaits pour passer une chouette semaine, riche de rencontres et de remise en questions, aussi, parfois.

Au-delà des aspects techniques, qui vont sans doute mettre un peu de temps à percoler dans les usages, à travers la multiplication des exercices et des mises en pratique dans les jours et mois à venir, je retiens surtout de cette semaine rabatie que le “Mobile Journalism” est en fait un sacré pléonasme.

Let me explain ..

Par définition, le journalisme et le journaliste est mobile. Il (se) bouge afin de récolter les faits, les infos, les réactions, les interviews, les sons, les images et en rendre compte, peu importe les supports sur lesquels il le fait. Il est en mouvement, dans sa tête, par écrans interposés, à fortiori s’il s’agit de celui de son téléphone portable, mais même s’il reste assis à son bureau, les outils qu’il emploie lui permettent de se connecter à l’actualité des quatre coins de la planète.

C’était déjà le cas avant internet, ça l’est encore plus aujourd’hui, plus vite, plus fort, plus bruyamment, d’où la nécessité de d’abord écouter et se créer ses propres filtres anti-bruit, avant-même de penser à produire quoi que ce soit, au risque de rajouter du bruit au bruit. Si l’on a la prétention de vouloir être écouté, il faut d’abord se mettre soi-même à l’écoute et distribuer du lien/de l’attention vers autrui, pour espérer un jour en recevoir en retour. C’est là la nature-même de la mise en réseau, non ?

Au-delà donc de l’aspect technique, le journalisme en mobilité est, pour moi, avant tout une question de mentalité, de terrains physiques et numériques qui se superposent. La compréhension et la relation (de “relater”) des enjeux d’un monde qui change aussi vite nécessite une agilité et une capacité à se mouvoir telle que, de facto, le journaliste se trouve obligé de cultiver sa propre mobilité, physique, intellectuelle et matérielle, comme tous les métiers, et pas que du champ de la communication d’ailleurs.

Comme le souligne très bien Yusuf Omar, l’un des fondateurs de #hashtagyourstories et fer de lance d’un journalisme qui se met aux services des individus, et encore plus de ceux qui n’avaient jusqu’ici pas la parole, un des plus grands enjeux aujourd’hui pour le journalisme est de faire “remonter” toutes ces histoires à la surface et d’accompagner les changements que leurs impacts provoqueront. Si ça ce n’est pas du journalisme …

Les réticences dans les rédactions à s’équiper de smartphones, de laptops, de services de live en 3G/4G, etc. a bien moins à voir avec un souci de qualité de fond et de forme de la production que d’une remise en question des hiérarchies, des prérogatives sectorielles, des enjeux de conforts et des acquis pré-réseaux sociaux.

Non, le journalisme mobile ne menace pas le métier de cadreur, monteur, télé-titreur, script, régisseur, ingés son, réalisateur, … il est au contraire une formidable opportunité pour ceux qui y perçoivent l’occasion de faire leur métier, mieux.

Parce que le mobile est aujourd’hui le principal support de consommation de leurs productions, et qu’il rend possible l’éclosion de nouveaux talents, de futurs collègues, de potentiels concurrents aussi, et que les “gâche-métiers”, comme on l’entend souvent, ne feront pas long feu. Tout comme ceux qui refuseront de s’adapter obstinément, Darwin oblige.

Comprenez-moi bien, loin de moi l’idée de forcer quiconque à déposer sa caméra pour s’emparer d’un smartphone, ou de switcher toute la production de sa chaine de télévision sur iOs/Android, monter sur Première et diffuser sur Dazzl. D’autant plus, et surtout, si ce choix n’est dicté que par une logique économique. Il s’agirait de la pire chose qui puisse arriver à une rédac.

Mais si ce choix est réfléchi et guidé par un impératif de cohérence avec les usages de votre audience, si les yeux de vos cameramens, les oreilles de vos preneurs de sons et les compétences de vos rédactions peuvent s’exprimer encore mieux, plus vite et avec un rapport coût/bénéfice qui permet de faire entrer votre média dans une organisation plus liquide, d’adopter des process plus légers, mais non moins robustes, et d’augmenter sa capacité à offrir du sens à des volumes d’audience plus que jamais segmentés et volatiles, alors pourquoi vous passer du mobile ?

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