Ce récit, fictif, sélectif et donc forcément subjectif, pas forcément souhaité non plus, a été élaboré par Michaël Van Cutsem, Jean-Yves Huwart et Damien Van Achter à l’occasion d’une journée de prospective sur le thème « Quels scénarios pour la Wallonie à l’horizon 2036 ?« , organisée par l’Institut Destrée à Namur, le 15 février 2016, à l’invitation de Philippe Destatte, son président, et à laquelle ont également participé une vingtaine d’autres « citoyens-experts ».
Tihange kärnkraftverk, torn 1 (Maol, on Flickr)
2 février 2019. Suite aux plaintes répétées de plusieurs villes allemandes, luxembourgeoises et néerlandaises, l’Etat belge est condamné par l’Europe à mettre l’arrêt deux des trois réacteurs de la centrale nucléaire de Tihange, avec effet immédiat.
Le désaveu est cinglant, politiquement, et, techniquement, en raison des carences en matière de production énergétique et du risque trop important de déséquilibres commercial qu’entraîne l’importation d’une portion très substantielle d’électricité en provenance des pays voisins, la CWAPE, en collaboration avec le CREG fédérale, impose dès le lendemain de l’annonce du jugement, des délestages sur l’ensemble du réseau wallon.
Les Wallons, qui s’étaient habitués aux communiqués rassurants diffusés depuis 3 ans, vivent pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale sans électricité durant 2 heures par jour. Le choc est brutal.
Des équipes de CNN, Al Jazeera, CCTV ou encore Globo TV dépêchent des caméras à Huy et à Namur. Les blackouts quotidiens au milieu de l’Europe font la une des chaînes d’information continue et des grands médias en ligne à travers le monde. La Flandre, par la voix de Bart De Wever, se désolidarise publiquement du gouvernement fédéral et dénonce l’incompétence, pire, les compromissions, de ses ministres francophones en charge du dossier.
Poussés dans le dos par la vox populi du nord du pays, acculés par des sondages catastrophiques faisant des nationalistes flamands et de l’extrême gauche wallonne les grands vainqueurs des prochaines élections, les trois partis de la majorité démissionnent et le gouvernement fédéral se retrouve en affaires courantes pour une nouvelle période de 150 jours.
Black out énergétique. Black out logistique. Vide politique.
La perception de “Belgium, failed state” se renforce et la réputation internationale de la Wallonie et de sa classe politique se retrouve gravement et durablement entachée. Les administrations wallonnes sont dans l’impossibilité technique de réagir et les quatre partis traditionnels, pour sauver la face et ce qui leur reste de crédibilité, se retrouvent contraints d’envisager une liste d’union régionale. La tension au sein des états-majors des partis atteint son paroxysme et les médias, qui ont enchainé les directs et les émissions spéciales durant des mois, ne trouvent plus aucun interlocuteur qui accepte d’endosser la responsabilité de s’exprimer publiquement sur le sujet.
Dans la société civile, cette situation marque une rupture. Une mobilisation sans précédant a lieu, notamment via les réseaux sociaux. Différentes plate-formes activent désormais localement les énergies et les ressources venant directement des citoyens, convaincus qu’ils n’ont plus rien à attendre à court terme des autorités politiques.
Les premiers à réagir: les étudiants.
Lassés des restrictions budgétaires imposées aux écoles secondaires et supérieures depuis le début des années 2010 — les comptes de la Fédération Wallonie-Bruxelles sont tellement dans le rouge que les budgets de l’éducation ont été divisés par deux — ils décident d’occuper les locaux les moins vétustes, tous réseaux confondus, et annoncent la mise en ligne d’un nombre impressionnant de cours en ligne, en mobilisant des dizaines de profs volontaires, qui ont fait secession, en s’appuyant sur l’aide de la communauté des développeurs et des entrepreneurs dits » sociaux », comme WeShare ou MakeSense, qui se sont massivement rallié à leur mouvement.
L’inadéquation de formations dispensées par un grand nombre d’institutions de l’enseignement supérieur par rapport aux besoins en perpétuelle évolution des entreprises et startups entraine, dès la rentrée 2020, une forte baisse du nombre des inscriptions dans les institutions qui sont restées alignées avec “l’ancienne école”. Puisque, dans de nombreux secteurs, le diplôme n’a plus de valeur réelle pour un nombre croissant d’employeurs, qui ne se fient qu’aux expériences de terrain, les promoteurs des MOOCs (format de cours filmé) mis en ligne durant l’été sollicitent, et obtiennent, du secteur privé des budgets de développement en échange de stages et de projets de R&D dictés par les besoins des entreprises.
Des étudiants finlandais, dont le voyage et le séjour en Wallonie ont été crowdfundés par différentes campagnes menées tambours battant sur les campus, notamment durant la diffusion des matchs de la Coupe d’Europe de football, diffusent progressivement de nouvelles méthodologies d’apprentissages, inspirées du modèle d’Aalto.
En moins de deux ans, deux tiers des Hautes Ecoles ferment. Les autres se contentent de relayer et d’adapter des MOOC en espagnol, en anglais, en chinois. Certains de ces MOOC sont co-produits en collaboration avec des institutions en Malaisie et en Colombie. Une petite minorité d’institutions qui se sont spécialisées assez tôt et ont su mettre en place des révisions constantes de leurs programmes pour s’adapter à l’évolution technologique et des connaissances, ont réussi à se maintenir et à devenir des références internationales.
credit: Beverley Goodwin, on Flickr
Dans le même temps, le nombre moyen de véhicule passe de 1,5 par ménage à un véhicule pour trois ou quatre familles. La simplification apportées par les applications de co-voiturage, de location de véhicules, de mutualisation des outils de transports, jointes au développement rapide des voitures sans conducteur, plus efficientes d’un point de vue énergétique, a considérablement réduit la demande.
Une offre conjointe entre Uber … et la TEC.
Afin de préserver l’emploi, et malgré l’avis contraire des syndicats, les Transports En Commun wallons proposent désormais une offre conjointe avec UBER. Les voitures de société deviennent des voitures de société partagées, gérées par Google, qui paye une redevance en remplacement de la taxe de mise en circulation, qui est supprimée. Le blocage de Bruxelles par les taxis pendant une semaine a confirmé les utilisateurs de véhicules partagés dans leurs options de déplacements. Les tunnels fermés depuis 18 mois sont devenus d’immenses zones de délestage des véhicules surnuméraires.
Les accidents diminuent fortement et les compagnies d’assurance perdent une partie importante de leur marché vache-à-lait, entrainant dans leur chute les institutions bancaires qui n’ont pas pu anticiper l’arrivée des logiciels d’intelligence artificielle, qui réalisent désormais des performances meilleures en termes de gestion de portefeuille de risque et de prêts que les comités de crédits composés de banquiers seniors.
credit: Ballookey Klugeypop, on Flickr
La population des cadres dans les institutions financières est frappée de plein fouet par des licenciements, tandis que les prêts entre particuliers explosent, devenant progressivement la norme pour le financement des activités des PME et TPME, atteignant même 95 % des financements pour les artisans et les indépendants. La destruction d’emplois reste toutefois très importante, car tous les secteurs sont touchés par cette accélération techonologique qui voit les robots remplacer de plus en plus la main d’oeuvre humaine.
Autre secteur fortement impacté par le numérique, celui de la Santé. La Sécurité sociale, autrefois considéré comme le dernier lien de solidarité entre le Nord et le Sud du pays, devient un vecteur de croissance important, notamment grâce au co-living intergénérationnel. Des maisons médicales virtuelles se déploient dans chaque commune, avec prise d’échantillon robotisées et analyse en temps réel, émission d’ordonnances dont la véracité est prouvée grâce à leurs inscriptions dans une blockchain dédiée. L’envoi des médicaments se fait désormais par par drônes.
credit: Beautés Soniques, on Flickr
Nous sommes en 2036, la Région Wallonne et la Fédération Wallonie Bruxelles ont été fusionnées. Les assemblées citoyennes participatives, s’inspirant des initiatives telles que #Mavoix, LaPrimaire et La Transition mises en évidence par le film « Demain » élisent désormais 50 représentants volontaires pour une période de 3 ans maximum, non renouvelable.
La première loi à être votée selon la nouvelle règle du 75/25 (75% des voix venant des consultations directes, 25% des administrateurs des institutions publiques), fixe l’instauration d’une allocation universelle de 1.200 euros par mois et par individu, dès l’âge de 18 ans, et à perpétuité.
📬 Nos articles, podcasts & vidéos, par mail.
Member discussion