A qui l’Info doit-elle profiter (et comment) ?
La Fondation Mozilla, qui édite le navigateur Firefox (dont la version 2.0 vient de sortir en grandes pompes, téléfoncez le charger) récolterait 50 millions $ par an grâce à ses partenariats, essentiellement avec Google, mais aussi avec Yahoo et Amazon. Une somme qui permet de couvrir largement le salaire des ses 70 employés permanents.
Dans un entretien avec Neteco, Tristan Nitot, le directeur Mozilla Europe, souligne un élément important de la politique de la Fondation: « Mozilla reste une association à but non lucratif qui garde le pouvoir de dire non à des sollicitations commerciales ». La Fondation contrôle en effet à 100 pc une filiale à dimension commerciale (Mozilla Corp.) chargée de « vendre » les produits estampillés Mozilla et de développer le merchandising autour de cette marque.
Ce qui est intéressant ici, c’est de voir que l’on peut arrimer une activité commerciale en soutien à une philosophie qui elle, par définition, ne l’est pas.
Par analogie, je crois qu’il pourrait être intéressant d’explorer la même démarche autour de l’Information. L’information en soi n’a pas de valeur intrinsèque, elle n’en acquiert que parce qu’il y a des lecteurs/auditeurs/téléspectateurs qui la consomment et qui en tirent une plus value. Ce sont donc les consommateurs qui in fine définissent la vraie valeur de ce qu’ils consomment (« je me sens bien/mal informé », donc j’en redemande/je n’en redemande pas)
Pourquoi donc serait-ce aux producteurs d’informations de définir le prix de vente de celle-ci? Evidemment, allez-vous me dire, parce que le processus de production coûte. Il faut payer le papier, l’impression, l’électricité, le chauffage, l’essence, le salaire des journalistes, de leur hiérarchie, rémunérer les actionnaires chaque année un peu plus, etc. Et vous n’auriez certes pas tort :-)
Dans le système actuel, le consommateur n’a pas d’autres solutions que de recevoir le produit dans son entièreté (25–30 pages quotidiennes, une redevance annuelle pour la télé, etc.). Or, tout dans l’évolution de la consommation des médias tend à montrer et à encourager le « on demand ». On peut désormais payer un article, une émission à la pièce sans se farcir tout le canard ou être à la bonne heure devant son poste.
Sauf que le prix de vente actuel d’un journal est de loin inférieur à son coût réel. Faire payer un canard 6 ou 7 euros ferait certainement tomber le nombre d’abonnements au ras des pâquerettes, la nécessité de trouver d’autres sources de financement se révèle donc cruciale, la pub étant la plus évidente, les aides et autres compensations n’étant pas négligeable non plus (arrêtez-moi si je me trompe). A l’heure où le « juste prix » est sensé être défini par la loi du marché on ne peut nier qu’il y a là une incohérence flagrante .
Serait-ce in fine parce que l’information ne serait pas une marchandise comme les autres ?
D’où cette interrogation lancinante que des initiatives comme NewAssignement ne font qu’attiser.
L’activité d’informer doit-elle donc absolument se faire dans but lucratif ?
Il faut certes qu’elle génère suffisamment de revenus pour supporter ses coûts et permettre aux acteurs de la chaîne de production de vivre décemment, mais doit-elle nécessairement avoir pour objectif principal d’enrichir un peu plus chaque année des actionnaires ?
Grâce au web, cette chaîne de production est de moins en moins coûteuse, avec des contenus de plus en plus variés et d’une rapidité sans égal (il ne faut pas être docteur en scoopologie pour mesurer l’intérêt d’un tel avantage). Les structures des groupes de presse actuels ont du mal à intégrer ces changements, ils remettent en cause les voies hiérarchiques et court-circuitent la logique cyclique du bouclage avant minuit (quand ce n’est pas avant 22H). Sans parler de l’audio et de la vidéo qui sont des métiers, à priori, qui leur sont étrangers. Coté journalistes, il faut aussi avouer une réelle méconnaissance d’internet et un freinage des 4 fers lorsqu’on aborde ne fut-ce que la possibilité de prendre aussi des photos, du son ou de la vidéo. Quant à « ouvrir » les portes de la rédaction au « peuple » armé de gsm, de caméra mini-DV ou tout simplement d’un clavier …
Pourtant, les journaux qui ne seront pas capables de cette révolution interne seront plus que probablement voués à de répétitives « économies d’échelle », lesquelles se traduiront tôt ou tard par des réductions de la masse salariale et une paupérisation de leur contenu. Il faudra toujours traiter plus d’infos pour un prix de vente identique, la pression liée aux coûts croissants malgré des recettes publicitaires en baisse deviendra quant à elle de plus en plus forte, jusqu’à l’apoplexie.
A ce titre, la situation des journaux belges, dont le référencement dans les moteurs de recherche est en train de sombrer (cfr Copiepresse vs Google) est à mon sens bien critique. Quand bien même ils tourneraient casaque en jouant dès demain à fond la carte du web, nulle action judiciaire n’obligera jamais Google à les réintégrer dans son index. A moins qu’un arrangement (mais lequel ?) ne survienne d’ici le 24 novembre, je ne vois pas trop comment ils se sortiront de ce guêpier dans lequel la défense d’une pourtant juste cause les a propulsés.
Pour conclure ce (trop) long billet (sc’usez-moi, ceux que le sujet emmerde auront déjà zappé), je reviens deux secondes sur ce mode de financement alternatif que serait le « non-profit »
Pour moi, cracher sur la pub serait la dernière des inepties. Mais il y a moyen de se prémunir contre sa dépendance en fixant un seuil maximal au-delà duquel il serait néfaste qu’elle contribue à faire vivre une rédaction. Agir avec elle comme on le fait avec les subsides de la communauté française. Compter dessus, mais pas trop :-) Faire en sorte que votre mission principale ne soit pas mise en danger par un coup de mou du marché publicitaire ou, au contraire, par une affluence soudaine d’annonceurs bigremment intéressés par votre (vos) cible(s). L’objectif étant in fine de faire vivre vos troupes, pas de faire péter « an eight figure a year business » (Jason Calacanis, à propos de Weblogs. Inc, la société de blogs verticaux qu’il a créée et revendue à AOL)
Cela passe, selon moi, par au moins deux autres sources de financement: 1) les micro-paiements des consommateurs qui trouveront « juste » de participer à l’effort de guerre du ou des journalistes qu’ils apprécient et avec lesquels ils entretiendront des relations directes (blog, commentaires, wiki, whatever …) et 2) la constitution d’une base financière alimentée d’une part via des accords de cession de licences à des agences et d’autres organes de presse (crf. les 100.000 $ de Reuters à NewAssignment) et, d’autre part, via des aides étatiques qui seraient allouées à un tel service d’intérêt public, ainsi que les dons récurrents de mécènes attirés par « l’objet social » de votre publication.
En outre, vous pourriez compter sur une série de partenariats et d’échanges de visibilité avec des fournisseurs de matos et des prestataires de service connexes. Cerise sur le gâteau, vous pourriez même envisager de faire paraître une édition papier hebdomadaire, voire quotidienne, reprenant les articles les plus commentés. A l’image d’un Metro, elle serait entièrement financée par la pub, et donc gratuite … :-))
Suis-je complètement à l’Ouest ou bien, moyennant d’évidentes mises au point sur le plan pratique, cette manière de voir les choses peut être porteuse ? Que changeriez-vous, qu’apporteriez-vous en plus, bref: qu’en pensez-vous ?
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